La Thérapie Fondée sur la Compassion (TFC) a été développée par le Professeur Paul Gilbert, Professeur de Psychologie Clinique à l’Université de Derby (Royaume-Uni) au début des années 2000. Elle vise à développer la compassion envers soi-même et les autres afin d’améliorer le bien-être.
Trois systèmes de régulation des émotions
Des données issues de la psychologie évolutionniste nous enseignent que le cerveau humain dispose d’au moins trois systèmes de régulation des émotions qui interagissent entre eux :
- Un système centré sur les menaces qui permet de prendre des décisions rapides pour échapper au danger et qui était destiné à l’origine à favoriser la survie de l’espèce (médié par l’adrénaline et les corticostéroïdes).
- Un système centré sur les besoins et des pulsions, dévolu au développement de l’espèce (nourriture, reproduction, expansion géographique, plaisir, excitation) médié par la dopamine.
- Un système centré sur l’apaisement et l’affiliation, support du développement affectif de l’espèce, médié par l’ocytocine et les endorphines.
L’apport de la Thérapie Fondée sur la Compassion consiste à développer de manière spécifique le fonctionnement du système centré sur l’apaisement et l’affiliation, ce qui permet au sujet d’éprouver une sensation de bien-être, sans avoir besoin de fuir dans l’hyperactivité ou de se sentir trop menacé par son monde interne ou externe. En un mot, de permettre au sujet de passer du mode « pilotage automatique », du mode “faire” au mode « être ».
La Thérapie Fondée sur la Compassion est une psychothérapie intégrée prenant en considération l’être humain de manière globale, dans toutes ses dimensions : psychique (en particulier cognitive et émotionnelle), physique, sociale et de pleine conscience. Elle constitue une synthèse inédite de la psychologie occidentale, du bouddhisme et des neurosciences. La Mindfulness (pleine conscience), l’acceptation et la compassion constituent le cœur de cette approche novatrice permettant d’améliorer son rapport à soi et au monde.
En termes d’indications, la TFC a été développée en premier lieu pour des patients souffrant de problèmes psychiques complexes et souvent chroniques, dominés par l’intensité de la honte et de la critique envers soi-même, ces patients ayant le plus souvent des antécédents personnels de maltraitance et/ou de carences psychoaffectives. La TFC est une approche qui se veut ‘’transnosographique’’ et ‘’dépathologisante’’, évitant au maximum de stigmatiser celui qui y a recours. Il s’agit de développer les capacités du sujet à découvrir des stratégies d’apaisement, une position de sécurité et un regard compassionné envers soi-même (self-soothing and self-compassion ).
Trois composantes de la compassion envers soi-même
Le concept de compassion envers soi-même s’est développé et popularisé ces dernières années sous l’influence notamment d’un courant d’intégration de certains aspects de la philosophie bouddhiste à la psychologie cognitive et en particulier d’intégration de l’approche dite de pleine conscience à la psychothérapie cognitive.
Selon le modèle développé par Kristin Neff et adopté par plusieurs chercheurs du domaine, la compassion envers soi-même dans les situations de difficulté, implique trois composantes :
- La bienveillance envers soi-même
Être chaleureux(se) et compréhensif(ve) envers soi-même dans les moments douloureux, d’échec ou de sentiment d’être inadéquat(e), plutôt que d’ignorer les difficultés ou de se critiquer négativement.
Les personnes compatissantes envers elles-mêmes reconnaissent qu’être imparfaits, vivre des échecs ou des difficultés est inévitable. Elles ont alors tendance à être bienveillantes envers elles-mêmes dans ces situations plutôt que de ressentir de la colère. Une plus grande sérénité en découle. Lorsque cette réalité est niée ou combattue, la souffrance augmente sous forme de stress, de frustration et d’autocritique.
- La reconnaissance de son humanité
Reconnaître que la souffrance et l’échec personnel fait partie de l’expérience partagée par l’humanité.
La frustration par rapport au fait que les choses ne se produisent pas comme désiré est souvent accompagnée d’un sentiment irrationnel d’isolement, d’être seul(e) à vivre ces situations. Reconnaître que l’on est humain est aussi reconnaître que les pensées, les émotions et les comportements sont affectés par des facteurs « externes » tels que l’histoire parentale, la culture, les facteurs génétiques et environnementaux, ainsi que par les comportements et les attentes des autres. Cette reconnaissance aide à être moins critique sur ses faiblesses personnelles.
- La pleine conscience
Observer les pensées et les émotions négatives telles qu’elles sont, sans essayer de les nier ou de les supprimer, et sans les juger.
Le fait de relier ses propres émotions et pensées à la nature humaine aide à percevoir sa propre situation dans une plus large perspective. Cette observation aide à ne pas se sur-identifier à ses pensées et émotions, ce qui prévient d’être emporté(e) par une réactivité négative, favorisée par un focus étroit et une rumination des émotions négatives.
Dans une étude publiée en 2009 dans le Journal of Personality, Kristin Neff et Roos Vonk ont comparé la compassion envers soi-même à l’estime de soi. Il s’avérait que la compassion prédisait des sentiments plus stables de valeur personnelle que l’estime de soi et était moins dépendante des circonstances. Elle était aussi notamment moins liée à la comparaison sociale, au soucis de l’apparence et à la fermeture d’esprit.
Des études ont associé la compassion envers soi-même à la santé psychologique : des niveaux élevés étaient liés à une plus grande satisfaction générale, à l’intelligence émotionnelle, aux liens sociaux, à l’atteinte d’objectifs, ainsi qu’à moins d’auto-critique, de dépression, d’anxiété, de rumination, de perfectionnisme, de buts de performance et de troubles des comportements alimentaires.
Les indications
Les patients qui ont subi des expériences traumatiques importantes présentent souvent un niveau élevé de pensées, de croyances et d’émotions négatives de type « honte » et de critiques dirigées vers soi-même, ce qui peut constituer un obstacle pour les approches thérapeutiques classiques. Dans certains cas, la honte ressentie, peut bloquer un processus thérapeutique pendant plusieurs années. Il peut être difficile pour ces patients de percevoir les pensées alternatives proposées dans le cadre de la thérapie, comme étant utiles.
Par exemple : « je sais que ce n’est pas de ma faute, mais le fait de le savoir ne m’aide pas. Je me sens toujours coupable ». Pour que la pensée alternative soit perçue comme utile, il est souhaitable qu’elle puisse s’articuler avec une émotion positive, comme le fait « d’être quelqu’un qui soit susceptible d’être aimé pour ce qu’il est » (dans l’esprit des autres et aussi et surtout dans le sien), ce qui peut permettre au sujet de parvenir à une position de plus grande sécurité émotionnelle, à partir de laquelle l’engagement dans une stratégie de changement devient envisageable et réaliste.
En pratique, pour que le processus thérapeutique fonctionne avec des tels patients, il convient de parvenir à une congruence entre l’émotion et la pensée. Cette congruence peut être difficile à obtenir chez les sujets qui ont peu de souvenirs d’expériences émotionnelles positives. Certaines personnes peuvent ainsi considérer qu’elles n’ont pas le souvenir que « quelqu’un ait jamais porté un regard bienveillant sur elle ».
Le travail en TFC se propose en associant des séances de pleine conscience avec des éléments d’imageries guidées, de permettre aux patients de (re) construire une image d’eux-mêmes plus positive, empreinte de bienveillance et de compassion, qui permettra aux idées alternatives d’être davantage acceptées, car s’étayant peu à peu, au fil du travail thérapeutique, sur des émotions positives.
La TFC, c’est aussi un style thérapeutique où le comportement non verbal du thérapeute joue un rôle très important : débit verbal, ton de la voix, position proximale, capacité à supporter la souffrance chez l’autre. Elle peut se pratiquer à titre individuel ou en groupes, qui peuvent être constitués de patients présentant des pathologies différentes (troubles anxieux, dépressifs, bipolaires ou troubles de la personnalité).
En résumé, en associant un travail original en pleine Conscience et en imagerie guidée, la Thérapie Fondée sur la Compassion permet de modifier les systèmes de régulation des émotions. Cette approche a pour but, chaque fois que possible, d’amener une congruence entre émotions et pensées alternatives, permettant au sujet d’entrer dans une authentique stratégie de changement, tout en bénéficiant d’une véritable position de sécurité émotionnelle.
La psychothérapie centrée sur la compassion est prometteuse en tant que stratégie publique de santé mentale pour améliorer le bien-être et réduire la détresse psychologique